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Les conférenciers Gilles Clément
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Programme détaillé des Rencontres internationales
du paysage 1ère journée : lundi 5 juillet Géographie : Bernard Debarbieux Les rapports de notre société aux paysages changent constamment. On l’observe aussi bien dans l’univers de nos représentations collectives que dans celui de la production artistique, autant dans les pratiques professionnelles que dans les politiques publiques. Plusieurs indicateurs nous invitent à penser que ces changements s’accélèrent, à moins que nous ne soyons entraînés dans un véritable " tournant paysager " : ancrage accru des préoccupations paysagères dans les politiques territoriales et les projets d’aménagement, généralisation des pratiques " cosmétiques ", hiatus croissant entre pratiques spatiales contemporaines et caractéristiques des paysages célébrés, etc. Une conférence introductive à la journée présentera une analyse de la situation contemporaine ; une seconde conférence, donnée par un célèbre architecte-paysagiste français, puis une table ronde rassemblant divers acteurs de terrain présentera un ensemble d’expériences concrètes. 15h 30 – 17h 30 > conférences Appréhendé dans la longue durée, le paysage alpin apparaît comme un avatar fructueux de conceptions multiples et changeantes du rapport entre le réel et ses représentations. Il est aujourd’hui acquis qu’il naît, autour de la Renaissance, d’une construction picturale d’un rapport au monde pris dans son étendue et sa matérialité. Son triomphe au siècle des Lumières et dans le siècle qui suit, en fait un archétype de la représentation paysagère. Il est aussi bien connu que l’analyse savante, quand elle renonce à ses accointances avec l’esthétique, tend à le naturaliser. Le paysage est alors rapporté au réel lui-même, ou plus exactement, à l’une de ses manifestations. Bien avant le siècle dernier, la notion de paysage semble donc hésiter sur le statut qui est le sien : tantôt réalité, tantôt représentation, parfois ajustement de la seconde à la première quand les réalismes, pictural et scientifique, font de cet ajustement l’objectif même de l’exercice de représentation. Ainsi ballottée entre ces statuts divers, et malgré le grand intérêt de nombreuses productions (peintures, recherches, essais) qu’elle a suscitée, la notion a sans doute souffert de cette indécision. Appréhendé dans la longue durée, le paysage alpin apparaît aussi comme un référent précieux à l’aune duquel on peut analyser les formes changeantes et les significations variables attachées au travail humain dans l’environnement alpin. En introduisant ce facteur, celui de l’action et du travail humain, dans le dialogue impossible – impossible car fondé sur des postulats philosophiques inconciliables – entre réel et représentation, on peut esquisser une histoire sociale et pragmatique du paysage alpin qui pose l’hypothèse d’un basculement aussi majeur que récent. Le paysage de la peinture réaliste tout comme le paysage de la géographie ont été pensés comme des représentations sophistiquées d’une réalité résultant d’un ensemble de forces naturelles (celles de la physique et de la biologie) et humaines (le travail) totalement étrangères à ces représentations. Pour le dire autrement, le travail séculaire des hommes, motivé par des impératifs de subsistance et de production a forgé une réalité largement indépendante des représentations artistiques et scientifiques. Ces dernières sont conçues comme des représentations secondes, des interprétations d’une réalité qui les précède. Elles magnifient un réel qui leur préexiste. Or depuis quelques décennies déjà, et de façon croissante, un retournement semble s’opérer dans ce domaine. Le paysage alpin, un temps magnifié par quelques uns, est devenu, à la faveur du développement touristique et de l’éducation des peuples, un bien commun et une ressource à la fois. Circonscrit de la sorte, il devient l’objet d’attentions nouvelles – politiques publiques, techniques d’entretien, ingénierie, actions de patrimonialisation, simulations – qui réorientent le sens et certaines formes du travail humain. Un nombre croissant de métiers, de l’agriculture à la foresterie en passant par l’architecture, tendent à intégrer la qualité paysagère comme un objectif en soi. La représentation paysagère tend alors à guider le travail humain et les conditions, notamment réglementaires, dans lesquelles il s’effectue. La ressource économique et symbolique est ainsi ménagée. Les Alpes sont désormais soumises à la force de l’empaysagement, à la convergence d’actions individuelles et collectives qui tendent à conformer la réalité alpine à une représentation paysagère préexistante. Faut-il y voir le triomphe d’une approche sensible et savante de l’environnement alpin ? une manifestation supplémentaire de l’attachement déraisonnable de nos sociétés aux héritages divers et variés dont nous cultivons la mémoire à tout prix ? une rationalisation de ce qui fait la richesse différentielle de l’espace alpin dans une économie concurrentielle ? l’expression alpine du goût immodéré de nos contemporains pour la manipulation ludique et hédoniste des simulacres ? la preuve patente de la difficulté de notre civilisation à inventer une esthétique paysagère qui prenne acte des nouvelles formes de production et de travail qui la caractérise ? Tout cela à la fois, peut-être, si l’on propose de voir dans la transformation de notre rapport au paysage le signe parmi d’autres d’un tournant de notre modernité. Les aires d’autoroutes,
une invitation à découvrir les pays Un des aspects les plus importants de l’autoroute actuelle, c’est paradoxalement l’arrêt qu’elle doit assurer, compte tenu de l’importance du réseau mis en place, en particulier à l’échelle européenne. Ce qui devrait logiquement induire une politique des aires qui pourraient alors jouer un nouveau rôle de transition entre l’autoroute et ce qui reste à découvrir : l’intérieur du pays. Deux mouvements en viendront ainsi à s’y rencontrer : l’un venant des pays, l’autre de l’autoroute pour produire des formes d’aires qui sont différentes. De sorte qu’apparaît à l’aide de ces " lieux intermédiaires " une diversité de valeurs paysagères, dans des échelles inhabituelles, donc une nouvelle physionomie des pays Pour mieux percevoir cette notion de lieux intermédiaires, il faut se référer aux arbres taillés du jardin classique français, entre château et forêt. Ces objets sont en effet géométriques comme le château, mais naturels comme les arbres libres des forêts. Ils empruntent leur nature à ces deux entités entre lesquelles ils se trouvent, feuilles et rameaux de leur végétation aux forêts sauvages et forme régulière au château. Pourtant, ces arbres taillés sont devenus des objets particuliers, totalement nouveaux, intermédiaires, ni château, ni forêt. Autrement dit, ce sont à la fois des objets et des
relations entre les entités auxquelles ils servent à la
fois de lien tout en affirmant leurs différences. Si ces arbres
taillés ne préparaient pas l’arrivée à
la forêt sauvage ou dans l’autre sens le surgissement du château,
le contraste ne serait qu’abrupt entre forêt et château. Grâce aux aires, on pourrait ainsi quitter le système de saisie visuelle qu’est l’autoroute pour arriver aux contacts physiques d’un pays. En tant que lieux intermédiaires, elles prépareraient en effet la visite du voyageur à des pays qui ne sont pas visibles de l’autoroute et que l’on pourrait justement entrevoir par leur aide. En elles l’appréhension polysensorielle jouerait un rôle plus grand, elles seraient donc analogues du jardin en inventant réellement cet entre-deux qu’elles pourraient manifester : des jardins de paysages. En devenant pour les voyageurs non des vitrines de produits locaux mais des occasions de découverte des pays et de pré-rencontre avec leurs habitants, eux-mêmes attirés par ces lieux différents, les aires de repos, en tant que systèmes d’annonciation, devraient faire partie des nouveaux " arbres taillés ". 18h 00 – 19h 30 > Table ronde Enjeux contemporains du paysage Cette table ronde vise à faire dialoguer des personnes impliquées dans la définition et la mise en œuvre pratique de politiques publiques et de projets concrets qui contiennent une référence importante au paysage. Elle pourrait suggérer que la question du paysage, longtemps affaire de spécialistes, tend à devenir un enjeu public impliquant les sociétés locales, soucieuses de réfléchir à leur identité et à la pérennisation de leurs ressources territoriales, les acteurs économiques, préoccupés par la mise en valeur des avantages régionaux et les administrations cantonales et fédérales, chargées de concevoir et de mettre en application les cadres généraux des politiques publiques en la matière. Le paysage, dont la valeur culturelle est bien connue, deviendrait un objet commun de préoccupations, bien que la diversité de ses modalités d’appréhension et des valeurs qu’on y rattache (identitaire, économique, patrimoniale, etc.) rende difficile l’élaboration d’un consensus sur les politiques à concevoir et les formes de sa gestion. Cette table-ronde donnera une place importante à des exemples concrets et abondamment illustrés : projets développement, événements populaires, aménagement de stations touristiques. Avec : 2ème journée : mardi 6 juillet Histoire : François Walter Réalité qui relève d’une expérience sensorielle, le paysage constitue la mémoire du territoire. Il procède de l’empilement de strates d’âges différents, chacune de ces couches correspondant à une empreinte laissée sur le sol par l’action des sociétés humaines. En faire l’histoire, c’est comprendre les pratiques et expliquer les variations de sensibilité qui font apprécier différemment le paysage ou le chargent de valeurs symboliques et esthétiques. Ne risquerait-il pas de disparaître au cas où personne ne saurait plus le contempler ? 15h 30 – 17h 30 > conférences Le paysage, interface entre des pratiques
aménagistes et des expériences sensorielles Le paysage ne cesse de changer. Indépendamment de toute action de l’homme, parce qu’il résulte dans sa réalité observable des variations de mécanismes bio-géo-chimiques, tels qu’ils façonnent l’environnement terrestre. Les fluctuations des conditions climatiques en sont la manifestation la plus évidente. Ainsi, la péjoration des températures à partir du XVIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle donne à la " découverte des Alpes " un contexte singulier : la crue glaciaire a largement contribué à fixer l’image du paysage alpestre avec ses vallées englacées à des altitudes aujourd’hui colonisées par les arbres ! C’est ce paysage qui a servi, avec d’autres, de modèle esthétique à la culture européenne jusqu’à la fin du XIXe siècle. On ne saurait négliger non plus la part de l’homme dans l’histoire des variations paysagères. Que de transformations visibles consécutives aux pratiques aménagistes ! Ainsi la couverture forestière se rétrécit partout jusqu’au début du XIXe siècle. Le retournement séculaire pousse ensuite les arbres en bataillons serrés à l’assaut des pentes. De nouveaux paysages forestiers se constituent, eux aussi chargés de valeurs symboliques et générateurs de l’inspiration artistique. Pour l’habitant des montagnes, ces changements ne sont pas sans conséquences non plus. Longuement adulé par la tradition bucolique, le berger des Alpes se mue, tout au long du XIXe siècle, en prédateur inconscient, stigmatisé par les technocrates de l’aménagement forestier. A ces derniers, l’ouragan Lothar donnera tort récemment, à la fin de l’année 1999, en révélant les vertus de la diversité génétique. Perturbatrices du paysage, les sociétés contemporaines le sont sans aucun doute : il est banal de le rappeler d’autant que les moyens technologiques mis en œuvre sont particulièrement agressifs. Fragiles, les zones de montagne sont plus que d’autres exposées à la dégradation irrémédiable. L’inconscient culturel sevré d’images pittoresques saura-t-il se trouver des repères dans un environnement changeant qui n’a plus rien à voir avec certains fantasmes passéistes de la mémoire, ceux notamment qu’entretiennent complaisamment les médias? Hominitude et finitude 18h 00 – 19h 30 > Table ronde Le paysage existe-t-il encore ? Par définition le paysage est lié à la modernité. Si l’époque moderne l’a propulsé à son faîte d’abord par son esthétisation (la peinture de paysage), puis par son idéologisation (l’inscription identitaire de l’appartenance), la postmodernité en revanche a permis la décentration du regard et le traitement herméneutique des réalités paysagères, à savoir une meilleure compréhension des pratiques paysagères. Sans vouloir à tout prix forcer le contraste entre modernité et postmodernité, il convient au moins de les opposer sur leur vision de l’espace. Réglés et construits, les lieux de la modernité sont investis de sens par un jeu dialectique entre les représentations et l’extériorité. Il n’en irait plus de même avec l’espace postmoderne, si quadrillé de lignes d’erreurs qu’il apparaît comme un espace lisse alors même que la réflexion sur la paysage a besoin pour se déployer des rugosités de l’espace concret, des discontinuités temporelles et spatiales où s’insèrent les mécanismes de la différenciation. Paradoxalement, aucune société n’a développé autant que la nôtre une culture du paysage. Chargé de sens et de valeurs, le paysage joue un rôle essentiel dans le régime d’historicité contemporain où passé et avenir orientent conjointement la compréhension du présent, que ce soit un passé idéalisé et vaguement nostalgique ou un avenir inquiétant et niveleur. Nous vivons une " société paysagiste " (P. Donadieu). On a pu relever aussi à quel point la postmodernité se caractérise par une " sémiotisation généralisée des données de l’existence ". L’espace n’existerait plus que par métaphore. L’accès aux choses étant médiatisé à outrance, ce n’est plus la nature en tant que telle qui attire mais bien plutôt ses signes que l’on consomme. La perte du référent brouille la compréhension et renvoie à l’opacité généralisée. Le paysage devient incertain. La plupart des instruments descriptifs ont été élaborés durant cette longue période de l’histoire qu’on désigne pour aller vite par modernité. Mais sont-ils encore opératoires aujourd’hui ? Autrement dit, le paysage existe-t-il encore ? Comment comprendre cette " société paysagiste ", vaguement schizophrène par son double mouvement de séduction et de mise à distance de l’urbain couplé sur des préférences pour les formes idéalisées de la nature, dans laquelle nous vivons ? Avec : 3ème journée : mercredi 7 juillet Littérature et histoire de la culture : Claude Reichler Les théories du paysage s’appuient généralement sur l’idée qu’un paysage est une construction — culturelle, esthétique, historique, sociale. Pour ébranler cette certitude, on voudrait proposer une autre pensée du paysage. Celui-ci n’est-il pas aussi, et peut-être d’abord, un surgissement du monde dans la sensation ? D’un monde qui nous apparaît et nous saisit, quand s’effacent les schèmes appris ? Bref, non pas une représentation mais une présence ? 15h 30 – 17h 30 > conférences Le paysage au-delà des machines qui
le donnent à voir La plupart des théories standart du paysage reposent sur des présupposés optiques, qui sont à la fois relativistes et mécanistes. Relativistes, parce que le paysage n’est pas tenu pour la découverte et la mise en forme de quelque chose qui existerait hors de l’" équipement culturel" du sujet humain : il n’est que la duplication de données élaborées socialement. Et mécanistes parce que la perception comme la représentation paysagères sont censées reposer sur des dispositifs fonctionnels apparentés à des machines : modèles, schèmes, agencements, appareils de reproduction… On peut ainsi décrire une généalogie des machines du paysage. A l’origine, du moins en Europe, il y eut le concours de la règle de l’arpenteur et de la camera oscura du peintre, censée constituer un équivalent de l’œil humain. Sont venus alors les cadrages des vedute, les miroirs du landscape gardening, les fenêtres du réalisme, les panoramas et tous les dispositifs visuels inventés par le XIXe siècle. Les machines au sens propre sont apparues récemment : appareil photographique, cinéma, vidéo ; puis celles qui mettent en mouvement l’homme percevant (télécabines, voitures lancées sur les autoroutes, restaurants tournants…) Aujourd’hui, tous les métiers du paysage cherchent à aménager des dispositifs qui planifient la perception de l’espace et des objets qui l’occupent, depuis les sentiers botaniques jusqu’aux points de vue panoramiques et aux highlights des guides. L’industrie des images relaie abondamment ces arrangements, par l’affiche, la photo, le cinéma. La prolifération des images à l’ère de leur " reproduction mécanique " (Walter Benjamin), liée à la marchandisation du monde, a provoqué l’usure des paysages, leur exténuation dans la surmodernité. Nos paysages sont-ils devenus des " non-lieux " (Marc Augé), comme les aires de repos de nos autoroutes et les couloirs de nos aéroports ? Je voudrais prendre le contre-pied de ces idées qui reposent sur une vision exclusivement sociologique du paysage, et qui décrivent le triomphe aliénant de la médiation. D’une part, si le paysage naît d’une mise en relation, sachons donner une place entière à chacun des termes de cette relation, donc aussi au sujet humain susceptible de sensations et accomplissant des perceptions. Pour ce sujet, la relation paysagère est une relation complexe, mise en œuvre dans une visée apte à découvrir le monde et non seulement à reproduire des schèmes. Le paysage surgit, émerge, grâce à mais aussi au-delà des médiations. Ou peut-être avant elles, mais ayant recours à elles dans le processus qui le fait devenir conscience et expression ? Et d’autre part, on a dit que les théories standart s’appuient prioritairement sur le regard. On peut penser, tout au contraire, que la perception du paysage ne relève pas seulement de la vision, mais qu’elle constitue un événement polysensoriel complet, où tout le corps et tous les sens prennent leur part. Si la perspective, la photographie, les machines et les schèmes ont éduqué notre regard, ils ont aussi restreint sa portée et ses fonctions, en faisant comme s’il était autonome, quasi séparé des autres sens. Mais le paysage vivant ne répond-il pas aussi à d’autres fonctions, qui demandent de dépasser les machines qui nous l’ont fait voir. Il s’agit alors de redéfinir la coopération des divers sens dans l’appréhension du paysage : d’abord en formulant une autre théorie de la perception ; mais aussi en écoutant le témoignage des poètes et des écrivains, qui, en abordant le monde à travers le langage et les sens intimes, ont eu depuis toujours une parole ouverte sur le paysage. Ombre, Lumière, Tiers-Paysage Tiers-paysage
Fragment indécidé du jardin planétaire Le Tiers-paysage assemble la diversité. Souple, changeant, offert à l'occupation temporaire de l'industrie humaine, il se fait, se défait, se refait constamment. Réservoir génétique, lieu privilégié du brassage planétaire, le Tiers-paysage désigne le futur.
Sans échelle il intéresse le peuple des poussières
ou celui des grands animaux. Territoire mental d'espérance. Note : Le concept de Tiers-paysage prend naissance à Vassivière, suite à une commande photographique du Centre d'art et du paysage, en 2002. L'analyse fait apparaître le caractère constamment binaire du paysage limousin : ombre et lumière se partagent le terrtoire selon un équilibre heureux, rare en Europe et dans le monde.
Ombre et lumière, territoires de l'ingénieur (ingénieur forestier, ingénieur agricole) ne suffisent pas à restituer la totaliter du paysage. Les marges assemblent une diversité mal connue, non répertoriée comme richesse. Le Tiers-paysage, troisième terme de l'analyse (d'où son nom) désigne l'ensemble de ces marges. Il renvoie au tiers-état (et non au tiers-monde) et au pamphlet de Siéyes de janvier 1798 : " Qu'est-ce que le tiers-état ? – Tout – Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? – Rien – Que demande-t-il ? – À devenir quelque chose." 18h 00 - 19h 30 > Table ronde Y a-t-il une origine du paysage ? On pense généralement les débuts du paysage en termes d’une histoire du regard, en partant de la géométrie et de la perspective dans l’Europe du 14ème siècle, et donc de la mesure et de la représentation. Mais l’origine, c’est aussi l’instant constitutif, toujours rejoué, où se noue cette relation entre l’homme et le territoire qu’on appelle " paysage " : l’instant phénoménologique du paysage apparaissant. Or, sans qu’on sache toujours les écouter, des hommes ont essayé de rendre compte, par d’autres moyens que la représentation visuelle, et notamment par le langage poétique, la méditation philosophique ou l’observation scientifique, de la fraîcheur du paysage dans son émergence, ces matins de la sensation ou, au contraire, de l’angoisse de sa disparition. N’est-ce pas cela que les mots ou les interventions sur la nature, parfois, parviennent à réveiller dans nos mémoires, à nous faire ressentir ? En partant d’une conception non chronologique de l’origine, on a chance de renouveler notre approche des arts représentatifs eux-mêmes. Ne tentent-ils pas de dépasser leurs limites en devenant, par le land art et certaines réalisations d’architecture ou de jardin, arts de l’effectuation paysagère, qui jouent avec les territoires et plongent l’homme au cœur des transformations naturelles, dans une dynamique qui est à l’opposé du mécanisme visuel des modèles perspectifs. Si le paysage de la pré-modernité et de l’époque moderne a accompagné la conscience que la Terre est mesurable, représentable, finie, conscience dont nous avons aujourd’hui parcouru le cercle de mélancolie, il y eut aussi dans l’Histoire des visions qui ont rendu le paysage à la " nescience ", à l’infini, comme sont par exemple l’image baroque du monde insaisissable, la philosophie du sublime, la notion d’horizon, ou encore la déambulation et la surprise. Par ces figures du paysage, l’homme est placé face à l’intuition qu’il y a toujours encore d’autres territoires, des paysages inconnus, un inconnaissable du paysage. Il sera proposé aux intervenants de la table ronde de prendre position sur la problématique esquissée ici en développant l’approche du paysage qu’ils pratiquent dans leur propre " métier ", puis en confrontant leurs points de vue. Avec : 4ème journée : jeudi 8 juillet Sociologie : Bernard Crettaz Les Alpes traversent actuellement une période troublée faite d’innovations et de stagnations marquées tout à la fois par un monorégionalisme alpin transfrontalier et par des hétérogénéités nouvelles. Ce sont toutes sortes de montagnes diverses et contradictoires qui naissent sous nos yeux. Et ces nouvelles montagnes connaissent des sédimentations variées : restructurations économiques forcées, entrée sur le marché financier international, prolifération de l’extrême, émergence d’une clientèle de luxe, généralisation du tourisme doux, quête de nouvelles images et de nouvelles cultures, néo-bricolage de tous les restes possibles, revendication féroce des AOC et produits du terroir, préoccupations environnementales authentiques et suspectes, mise en valeur des mémoires sur l’aventure alpine, prise de conscience d’une incontestable marginalisation des Alpes et, pour la Suisse, érosion et fin probable d’un mythe national. Tous ces phénomènes définissent les nouveaux usages des montagnes qui se répercutent au niveau des manipulations du paysage. Dans ces perspectives, il a paru d’un grand intérêt de donner la parole à des " faiseurs d’images de montagnes " afin de déceler, chez ces témoins privilégiés, l’ambivalence entre la reproduction des archétypes de " l’éternel paysage de montagne " et le miroir offert aux turbulences du foisonnant et nouveau laboratoire des montagnes inédites… avec leurs sociodiversités émergentes. 15h 30 – 17h 30 > Conférences Essai sur le nouvel usage des montagnes Des images d'ici pour les téléspectateurs
d'ici Pourquoi, alors que le cinéma américain, jusque dans ses chefs d’œuvre, magnifie la nature, aurions-nous, nous, une sorte de complexe à reconnaître ce que les touristes étrangers savent depuis des siècles : la Suisse est belle. Il ne s’agit pas d’en être fier, car nous n’y sommes à l’origine pour rien, même si aujourd’hui nous avons hérité la responsabilité de transmettre aux générations futures cette nature en bon état. On raconte que les Suisses allemands, lorsque le train débouche du tunnel de Chexbres jettent leur billet de retour par la fenêtre, ensorcelés qu’ils sont par la beauté magique des vignes de Lavaux se mirant dans le lac. Est-ce être victime de je ne sais quel syndrome citadin que d’admirer le Haut Pays vaudois, les gorges du Doubs ou la Dent Blanche ? En 1964, dans le cadre d’une enquête du journal La Suisse René Schenker, créateur de la TSR, imagine la télévision de l’an 2000 : " ce que chaque téléspectateur suisse cherche à obtenir aujourd’hui et cherchera certainement à recevoir en l’an 2000, ce sont des programmes suisses de qualité, bien faits, variés, réalisés avec la contribution de nos auteurs, de nos artistes. On assistera à un abaissement des barrières cantonales, non pas pour enlever le caractère typique de certaines régions, mais pour permettre de s’organiser et de vivre dans une seule communauté où les coutumes et les habitudes de chaque groupe ethnique resteront vivantes. " Quarante ans plus tard, cette profession de foi reste valable et a tracé les grandes lignes de la politique des programmes que j’ai menée de 1993 à 2003 où, selon Bernard Crettaz, j’ai pris le risque " d’une nouvelle TSR qui se cherche entre l’expérimental et l’éphémère, que l’on s’autorise avec tous ses risques et une nouvelle forme de durabilité helvétique où la politique suisse, l’économie suisse et la culture suisse trouveraient de nouvelles mises en spectacle transgressif. " TF1, le puissant concurrent de la TSR, exercerait une quasi dictature sur la vie politique romande si nous n’étions pas capables de retenir les téléspectateurs en mettant l’accent sur l’identité régionale, non pas pour perpétuer les anciennes traditions et ressasser les images du passé, mais en participant à l’évolution de la société en offrant à notre public partenaire une meilleure compréhension de son temps. Les paysages, la montagne, sont évidemment constitutifs de cette identité. La difficulté pour une petite télévision comme la TSR est d’être colonisée, en fiction en tous cas, par des images venues des Etats-Unis, de France et d’Allemagne. Or un pays sans image de lui-même est un pays en manque d’identité. L’imaginaire des téléspectateurs a besoin d’images d’ici pour s’ouvrir au monde. La montagne, pour des raisons, analysées par les sociologues, gratifiées par le promeneur et vécues économiquement par l’autochtone, est devenue un lieu où s’affrontent société marchande et idéalisme. Ma conférence n’a pas pour ambition de dénouer ces
lignes de tension, mais de montrer qu’à la TSR la montagne
est revendiquée comme partie prenante de l’identité
suisse, de la construction dans les années 1950 des grands barrages
aux sauveteurs des touristes inconscients du danger, des combats de Reines
aux réalités des paysans de montagne. 18h 00 – 19h 30 > Table ronde Avec : |
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